mardi 29 octobre 2013

Est-ce dans de vieux bois que l'on fait de bonnes guitares ?


Pourquoi un article sur les bois de lutherie de guitare électrique ?


Premièrement, parce que ça m'intéresse grandement. 

Deuxièmement, parce qu'en parcourant quelque peu le net, on tombe sur des idées qui affirment tout et leur contraire. Certains pensent que les bois pour guitare électrique n'ont qu'une importante toute relative par rapport à ce qu'il en est dans le domaine de la guitare acoustique. D'autres diront qu'il ne faut pas les négliger, mais que les micros restent l'élément le plus important d'une guitare électrique. D'autres diront que c'est l'ampli qui fait le son, et d'autres encore que ce sont les effets. Il paraît, en effet, aisé de conclure qu'une fois qu'on a mis un delay, un chorus, un humanizer et tout un ensemble de filtres pour fabriquer son propre son, on se moque un peu de savoir si on a une touche en érable ou un palissandre... 
Et j'en passe, dès lors que l'on commence à entrer un petit peu dans le détail des essences de bois et leur assemblage.

Loin de moi l'ambition de révolutionner les choses, mais j'espère par ma contribution, éclairer celles et ceux qui souhaiterons s'y retrouver un peu mieux dans ce domaines, après avoir été trop souvent confronté à des idées incomplètes sur des forums de grande audience.

Par ailleurs, toute personne s'intéressant un peu à la façon dont est fait sa guitare, s'intéresse nécessairement un peu à la question des bois par lesquels elle est fabriquée. Et à plus forte raison, toute personne réfléchissant à franchir la porte d'entrée d'un luthier professionnel pour engager la démarche d'un projet de fabrication de guitare passe par tout un tas d'interrogations concernant les raisons qui justifient le choix de telle ou telle essence de bois, et la façon d'obtenir tel ou tel résultat sonore.

Ce premier article appartient à une série pour l'instant incomplète d'articles à parvenir, qui traiteront de certaines des essences de bois souvent employées pour la lutherie de guitare électrique.

Merci pour votre lecture !

Introduction

On ne peut réduire une guitare électrique à trois bouts de bois collés ou vissés ensemble, avec deux micros, et des cordes. Sinon, c'est pas la peine d'aller mettre plus de 150 dans un pelle... Mais justement, c'est sans doute la raison pour laquelle on appelle ça une pelle, une poêle, une planche, et non pas une guitare...

De nombreux facteurs doivent entrer en considération lorsque l'on traite de la question des bois de lutherie :

- l'essence de bois ;
- la provenance ;
- l'âge de l'arbre que l'on a coupé, et sa situation topographique ;
- le type de séchage et éventuels traitements supplémentaires ;

Jusqu'ici, le luthier n'a pas encore travaillé sur le bois. Il faut alors ajouter les étapes propres au travail du luthier, qui détermineront le rendu sonore et esthétique de l'instrument :

- la coupe du bois (sur quartier/sur dosse)
- le temps de repos entre chaque étape de la construction de l'instrument ;
- la teinte du bois ;
- le type de vernis employé.

Notre objectif sera de compléter au fur et à mesure cet article pour qu'il soit aussi complet que possible sur l'ensemble de ces points.

Le bois employé aujourd'hui est-il moins bon que cela qu'on employait dans les 50's ou 60's pour nos si chères Les Paul 57 et Stratocaster 62 ?

Je vais d'abord traiter d'une idée chère à nous autres guitaristes. Pour faire de bonnes guitares, le bois doit être vieux !!! Pourquoi ? 

Et qu'est-ce que ça veut dire, du vieux bois ? Du bois qui a séché longtemps ?

Question intéressante dont nous allons maintenant parler. Mais avant que je ne parle, moi, je vais laisser la parole à un lecteur di site d'Ed Roman (célèbre luthier américain) qui, en tant que biologiste, nous donne un point de vue très intéressant sur la raison pour laquelle les bois anciens sont meilleurs que les bois récents.

« Je viens de lire votre section concernant les « vieux bois » sur votre site Internet (http://www.edromanguitars.com/newsite/customshop/wood/oldwood.htm) et je voudrais vous offrir ma contribution.  J’ai toujours soutenu l’idée que les vieux bois étaient nécessairement meilleurs pour la fabrication de guitares, parce qu’ils sont d’une densité supérieure aux bois récents. Mais je n’ai jamais fabriquer une guitare, et n’ai aucune connaissance sérieuse en ce domaine, donc je ne peux pas parler de la qualité des « vieux bois » pour la fabrication de guitare. Mais je suis un biologiste qui étudie la vie sauvage, et j’ai étudié l’habitat de la vie sauvage forestière et son développement. En conséquence, permettez-moi de vous donner un nouveau point de vue à propos des « vieux bois ». Voici pourquoi les « vieux bois » sont dit meilleurs, et voici les raisons de leur densité supérieure par rapport aux bois récents.

La structure physique des forêts à travers le monde s’est modifiée au cours de siècles. Pour simplifier à outrance un phénomène complexe qui varie d’un écosystème à un autre, les forêts ont cessé d’être constituées de vieux arbres imposants et largement espacés, non pas dense comme ils le sont aujourd’hui. La plupart des espèces d’arbres pousse très vite quant l’arbre est jeune, et leur croissance va en diminuant à mesure qu’ils vieillissent. Une croissance rapide conduit à des anneaux largement espacés [vous savez que les anneaux des arbres représentent le nombre d’années qu’à cet arbre],  qui sont donc moins dense, ce qui a pour conséquence que le bois est moins résonnant. Un érable par exemple, va grandir très vite à peu près pendant les cinquante première années de sa vie, et va grandir jusqu’à une taille respectable et va produire d’épaisses couches de bois d’une faible densité. Mais il peut vivre un ou deux siècles de plus, durant lesquels il va grandir moins vite, et va produire des couches plus fines et moins espacées d’un bois plus dense et résonnant. La structure cellulaire d’un bois dense qui a grandi lentement est plus resserrée, a une teneur fibreuse plus importante ainsi que d’autres propriétés, qui en font certainement un bois plus résonnant. Par conséquent, « les vieux bois » proviennent de vieux arbres, qui ont vécu longtemps.

Ainsi, pourquoi les arbres récents ne produisent pas la même sorte de bois ? Pour deux raisons. Premièrement et principalement, ils sont débités trop tôt pour que leur vitesse de croissance ralentisse. Parce que l’exploitation commerciale du bois de construction a débuté avec les premiers arrivant européens en Amérique du Nord, nous avons coupé la quasi-totalité des arbres réellement vieux. Maintenant que les vieux arbres sont coupés, les scieries tentent de récolter le bois comme lors d’une moisson ; le temps c’est de l’argent. Dès lors que la vitesse de croissance d’une série d’arbre diminue, la vitesse à laquelle un hectare de terrain produit le plus de planche de bois diminue elle aussi. Il est donc économiquement plus rentable pour les scieries d’exploiter les forêts tant qu’elles sont dans leur phase de croissance rapide, pour les couper et en replanter d’autres. La plupart des forêts destinées à l’exploitation (j’inclus nos Forêts Nationales) [il s’agit sans doute d’un américain, mais l’on peut tout à fait songer qu’il en est de même dans nos pays européens], sont coupées approximativement sur la base d’un cycle de soixante ans. Pour des raisons similaires, des forêts dont l’exploitation est moins régulée, j’entends dans les tropiques (pour l’acajou, etc.), sont maintenant débités avant qu’elle ne vieillisse vraiment et ne puisse produire des bois dense d’une grande qualité. Les acajous de quatre mètres de diamètres [au niveau du tronc bien sûr] qui, il y a cinq cents ans, étaient facilement trouvables, ont été coupé il y a des années. Maintenant, tout ceux qui reste sont des arbres beaucoup plus jeunes qui sont débités dès lors qu’il atteignent une taille propice à leur exploitation.

L’autre raison pour laquelle les forêts étaient moins densément fournie, avec des arbres plus grands (au moins dans les forêts de conifères à des latitudes où le climat est tempéré), est liée aux incendies de forêts. Avant que les hommes ne commencent à éteindre tous les feux à de forêts dès qu’ils le pouvaient, les feux de forêts étaient fréquents, mais d’une faible intensité. Des feux fréquents ont brûlé ce qu’il y avait de combustible (branchages, arbustes), dans le sous-bois. Les très jeunes arbres étaient régulièrement tués par ces feux de petites intensités, de telle sorte que peu d’arbres pouvaient atteindre une taille où ils étaient assez résistants [avec une écorce assez épaisse] et hauts pour que éviter de brûlées. Ainsi, nous avions une forêt dont la structure consistait en de vieux et gros arbres, largement espacés. Tous les cinq ans environ, un feu survient, brûle tout ce qui est inflammable au niveau du sol, mais le feu n’est pas assez intense pour tuer les arbres parvenus à maturité. Par contre, dès lors qu’on a éteint les feux de forêts, les jeunes arbres qui auraient été tués ont dès lors la possibilité de grandir, ce dont il résulte que la forêt devient plus dense. De plus, tout ce qui s’amasse au niveau du sol et qui constitue un combustible (branche, arbres morts, etc.) s’accumule, de telle sorte que dès qu’un feu se produit, il est plus chaud et puissant que ce qu’il aurait dû être. Au lieu d’un petit feu qui se propage dans une herbe sèche à la base d’arbres imposants et majestueux, dont le feuillage est hors de portée des flammes, vous avez un feu qui brûle tout, et monte jusqu’à la canopée de la forêt, tue les arbres, et une fois encore empêche le développement d’arbres très vieux et dense.

Où pouvons-nous donc trouver du bois de grande qualité aujourd’hui ? Vous pouvez commencer à scier des meubles anciens.


John Martin.

San Diego, Californie. »


Merci beaucoup à John Martin d'avoir pris le temps de nous avoir instruit et d'avoir partagé son point de vue.

DISCUSSION

Fort de ce point de vue, faut-il se résoudre à n'avoir plus que des bois de mauvaise qualité pour nos guitares ?

Il est clair que la production de masse ne peut privilégier le choix d'essences nobles. Le choix du tilleul, par exemple, est lié notamment au fait que l'arbre pousse vite, donc que les stocks peuvent se renouveler rapidement, par rapport à des essences africaines ou sud-américaines. On voit certains grands fabricants, tel Martin ou Gibson, utiliser de plus en plus des substitues au bois de touche : le Richlite, ou le Micarta, qui sont des composés de papiers recyclés mélangé avec des résines phénoliques, teintées, et tout cela est cuit selon une forme voulue. Pensons aussi à l'emploi de résines pour certaines guitares (chez Ibanez par exemple), et l'emploi de nouveaux matériaux, pour obtenir de nouvelles sonorités, et se soustraire à la contrainte liée à l'usage du bois.

On perçoit aisément que cela répond à une double contrainte : trouver une alternative au bois parce qu'il se fait plus rare, et plus cher ; réaliser des instruments dont les protocoles de fabrication sont différents, ou simplifiés.

Cependant, dans le cadre d'une fabrication à la commande, chez un luthier privé, il est toujours possible de disposer d'essences de bois telles qu'on les utilisaient il y a 50 ans. Car toutes ces essences ne sont pas forcément rares, même s'il est vrai que nombreuses d'entre elles le sont. Par ailleurs, il n'est pas nécessaire d'aller chercher des arbres séculaires pour obtenir de bons bois de lutherie. L'idée que plus un bois est dense, mieux il est pour faire sonner une guitare n'est pas une vérité absolue : selon la densité d'une pièce de bois, le rendu sonore sera modifié, laissant soit apparaître un timbre sonore différent. Il n'est donc pas nécessaire d'avoir une guitare de 8 kg pour qu'elle soit bien ! Nombreux sont les luthiers qui ont chercher à obtenir des rendus sonores de qualité tout en disposant d'une guitare relativement légère (de l'ordre de 3 kg). Par ailleurs, toutes les essences de bois n'ont pas la même fourchette de densité. Tout cela, il faut en tenir compte dans le choix des pièces de bois que l'on souhaite, et selon la combinaison de bois voulue pour une guitare.

On trouve tout à fait de l'aulne, du frêne et de l'érable de très bonne qualité. Nulle besoin d'aller chercher des arbres pluri-centenaires pour obtenir une excellente stratocaster ou telecaster. L'important sera de choisir les bonnes pièces, séchées naturellement !
Il sera par contre moins vrai de dire que tous les bois couramment nommés "acajou" se valent tous. Ils disposent de caractéristiques acoustiques, mécaniques et esthétiques différentes. Et à proprement parler, l'appellation "acajou" devrait être réservée au "swietenia mahogani", originaire d'amérique tropicale, et non à ses substitues africaine, qui sont d'autres variétés. Or, parmi toutes ces variétés, dont la dénomination commerciale est réduite à "acajou" ou "mahogany", la difficulté sera de savoir, sur sa propre guitare, de quel essence il s'agit. Un oeil un peu entraîné reconnaît s'il s'agit d'un acajou américain, ou africain (sipo, sapelli), et leurs caractéristiques sonores sont différentes, la condition étant que l'on puisse véritablement voir le bois (il ne doit donc pas être masqué par un vernis teinté).

Je pense, pour ma part, et pour en faire l'expérience avec mes propres guitares électriques, qu'il est toujours possible de disposer d'instruments d'une extrême qualité, et qu'il n'est nul besoin d'aller se réfugier dans la valeur "vintage" pour bien sonner. Nul besoin d'aller scier nos vieux meubles pour faire  nos guitares !



Les prochains articles traiteront séparément de certaines essences couramment employées en lutherie de guitare électrique.

Merci pour votre lecture et vos commentaires.

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